PIERRE RABHI : PRENDRE CONSCIENCE DE NOTRE INCONSCIENCE ET NOUS ÉVEILLER

novembre 6, 2016 0

Pierre Rabhi : Prendre conscience de notre inconscience et nous éveiller 

Paysan, écrivain et penseur français d’origine algérienne, Pierre Rabhi est l’un des pionniers de l’agriculture écologique. Aujourd’hui, ce « sage des temps modernes » prône la lucidité, l’amour et l’intelligence pour changer
(et sauver !) l’humanité. Rencontre.

 

Aujourd’hui, beaucoup d’initiatives positives fleurissent dans le monde. Le film « Demain », auquel vous avez participé, en a notamment témoigné. Pensez-vous que ce sera suffisant ?
Il est évidemment difficile de prophétiser… Mais ce n’est pas parce que tout le monde achète des panneaux solaires et mange bio que cela sauvera le monde… Il en faut plus. La conscience de chacun doit s’éveiller. Sinon, nous risquons tous de périr, même 100% bio !

Quels petits pas les humains « de bonne volonté » peuvent-ils aujourd’hui effectuer pour améliorer le monde ?
Tout doit commencer par la paix intérieure, la gentillesse, la fraternité, l’amour… Pas besoin de cathédrale ou d’église pour clamer cette vérité. Tout commence à l’intérieur de soi. L’homme possède l’intelligence technologique, mais il manque cruellement de lucidité et de clarté envers sa condition. Si des extra-terrestres nous observaient, ils nous trouveraient bien bêtes : nous sommes en train de nous détruire peu à peu sans vraiment le réaliser. Pour sortir de ce cercle vicieux, l’homme doit prendre conscience de son inconscience et s’éveiller.

Votre dernier livre s’appelle « Vers la sobriété heureuse »…
Oui, face au « toujours plus » qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond. Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité.

Au plan mondial, que préconisez-vous ?
Je préconise un décret international pour stopper l’éducation compétitive des enfants, qui se fonde sur l’angoisse de l’échec, et mettre l’accent sur l’enthousiasme d’apprendre. Je prône un système qui abolisse le « chacun pour soi » pour exalter la puissance de la solidarité et de la complémentarité. Qui relie l’enfant à la nature à laquelle il doit et devra toujours sa survie. Un système qui l’éveille à la beauté et à sa responsabilité à l’égard de la vie. Tout cela est essentiel à l’élévation de sa conscience.

 

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Le défi du féminin vous tient également à cœur…
Oui, bien que les femmes soient moins subordonnées dans les sociétés modernes, elles restent sous-représentées dans l’espace politique, décisionnel, et dans l’orientation de l’histoire en général. Pourtant, les armes et les bombes sont rarement de leur côté. Les femmes sont plus enclines à protéger la vie qu’à la détruire. Il nous faut rendre hommage aux femmes, gardiennes de la vie, et écouter le féminin qui existe en chacun d’entre nous.

De même que le respect de la terre…
Oui, la modernité a édifié une civilisation « hors-sol », urbaine, déconnectée des réalités et des cadences naturelles, ce qui ne fait qu’aggraver la condition humaine et les dommages infligés à la terre.
De toutes les activités humaines, l’agriculture est la plus indispensable car aucun être humain ne peut se passer de nourriture. L’agroécologie que je préconise comme éthique de vie et technique agricole permet aux populations de regagner leur autonomie. Mais aussi leur sécurité et leur salubrité alimentaires tout en régénérant et en préservant leurs patrimoines nourriciers.

Vous parlez de « prise de conscience » nécessaire à chacun pour améliorer le monde. De votre côté, quand avez-vous ressenti cette clarté ?
mais au fur et à mesure de ma découverte du monde. Quand je travaillais comme ouvrier et que l’on utilisait des substances chimiques nocives, l’absurdité du système m’a sauté aux yeux. Le principe de vie – la nourriture – reposait en effet sur des techniques meurtrières. Cette prise de conscience m’a permis de sortir du brouillard pour recevoir la lumière… qui existait déjà !

Quel monde imaginez-vous en 2050 ?
Si l’être humain remplace ses résolutions négatives par des positives, il y a de l’espoir. Notamment arrêter de dépenser des sommes colossales dans l’armée, dont le seul dessein est de détruire. La communauté internationale doit prendre des mesures en faveur de tous les êtres humains, en arrêtant les clivages nationaux. Si on ne fait rien, je prévois une accélération du processus négatif.


Quels livres vous ont le plus marqué ?
En agriculture bio, « La fécondité de la terre » de Ehrenfried Pfeiffer. D’un point de vue humain, c’est Socrate. Sa citation « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », illustre parfaitement ma pensée. Chaque individu est son propre maître et disciple, et tend vers une meilleure connaissance de lui-même.

Quels sont vos projets ?
Je suis heureux de bénéficier d’une écoute qui ne cesse de se déployer et j’aimerais profiter de cette popularité pour qu’aboutisse un forum civique (sans pour autant rejeter la politique) afin que le citoyen puisse se réapproprier son propre pouvoir. La population civile compte de multiples talents. Les citoyens doivent se regrouper pour agir ensemble. Parce qu’il est vraiment temps. Pour laisser à nos enfants un héritage de vie et non de mort. Pour les éduquer dans un savoir et un savoir-faire utiles, et surtout, dans la fraternité.

Pierre Rabhi, qui es-tu ?

Né dans une oasis du Sud algérien d’un père forgeron, Pierre Rabhi a été confié à un couple de Français à 5 ans, après le décès de sa mère. Il a reçu une éducation européenne, tout en préservant ses racines. En 1960, ouvrier dans une usine de la capitale, il remet en cause les valeurs de productivisme et de compétition de la modernité et décide de s’installer dans une ferme ardéchoise avec son épouse Michèle, une parisienne. Cinq enfants y grandiront. En 1972, il découvre l’agriculture biologique et écologique, et l’applique avec succès dans sa petite ferme. Depuis 1981, il transmet son savoir-faire en Afrique, en France et en Europe, cherchant à redonner leur autonomie alimentaire aux populations.

En 1988, il a été reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification. Il a aussi participé à des programmes d’échelle mondiale y compris sous l’égide des Nations-Unies. En 2007, il a créé le « mouvement international pour la terre et l’humanisme » appelé ensuite Mouvement Colibris et Terre & Humanisme. En 2011, il a reçu le prix du Développement durable du lycée Champollion de Grenoble et, le 16 juillet de la même année, il a participé à l’inauguration d’un jardin portant son nom à Saint-Alexandre dans le Gard.

Des graines de vie
Pierre Rabhi a été à l’origine de nombreuses structures, nées de sa propre initiative ou de ses idées : l’association Terre & Humanisme (d’abord appelée “Les Amis de Pierre Rabhi”), le Mouvement des Oasis en Tous Lieux, le centre agroécologique Les Amanins, la ferme des enfants-Hameau des Buis et plus récemment Colibris. Il est sollicité pour de nombreuses conférences dans le monde, et a publié plus d’une quinzaine d’ouvrages dont les derniers chez Actes Sud « Vers la sobriété heureuse » ou encore « Pierre Rabhi, semeur d’espoirs – entretien avec Olivier Le Naire ».