L’obsolescence prématurée
Interview avec Chloé Mikolajczak de Right to Repair Europe
Cela faisait 10 ans que le Parlement européen débattait sur un paquet de législations liées au droit à la réparation et l’obsolescence prématurée. Le droit à la réparation est considéré comme une étape clé du Pacte vert européen (pour une Europe durable et climatiquement neutre) qui vise sur une économie circulaire d’ici 2050 sur notre continent.
En octobre 2022, une décision historique a été prise, visant nos appareils électroniques.
Les déchets électroniques sont ceux qui connaissent la croissance la plus rapide dans l’Union européenne.
En 2017, plus de 3,5 millions de tonnes de ces déchets ont été collectées et seulement 40 % ont été recyclées.
Au niveau mondial, nous jetons 55 millions de tonnes de déchets par an – ce qui équivaut à un poids plus lourd que la Grande Muraille de Chine – et seuls 17 % de ces déchets sont recyclés.
Le reste est brûlé, enfoui sous la terre, ou envoyé aux pays du Sud pour être traité.
Right to Repair Europe est une association créée en septembre 2019 par cinq organisations visant à changer la loi qui autorise les producteurs à créer des produits (non) réparables. Ils sont aujourd’hui plus de 100 membres dans 19 pays européens, dont des repair cafés et des plateformes de 2e main de type Back Market. Right to Repair Europe a donc un impact local au sein de ses États membres ainsi qu’au niveau européen, et lutte pour que nos produits soient les plus durables et réparables possible, mais surtout pour que nous – les consommateurs – puissions avoir ce choix en revendiquant notre droit à la réparation universelle.
Les premières lois directement liées à la réparabilité des produits ont été prises en mars 2021 et concernent quatre catégories de produits : les frigos, les lave-vaisselle, les machines à laver et les télévisions. « Le problème est que cette loi n’impacte que les produits qui sont mis sur le marché à partir de mars 2021 » nous explique Chloé Mikolajczak de Right to Repair Europe.
« Les bénéfices de cette législation sont de rendre les produits plus facilement réparables, que les pièces détachées soient plus facilement disponibles [de même] que les informations sur la réparation […], mais ce sont principalement les réparateurs professionnels agréés qui bénéficient de ces mesures. »
La raison ?
Le prix. Si une réparation coûte au-delà de 30 % du prix neuf de la machine, les consommateurs préféreront remplacer cette machine.
Or aucune contrainte de prix n’a été reprise dans les différents paquets législatifs qui sont en train d’être débattus au Parlement européen. D’où l’importance du travail d’organismes comme Right to Repair Europe : ils poussent pour que tout le monde ait le droit de réparer, et non pas seulement les réparateurs agréés. Cela veut dire les réparateurs locaux, les repair cafés ou les consommateurs eux-mêmes.
La législation eco-design qui a été mise en place en mars 2021 a été une législation « produit par produit ». Aujourd’hui – en 2022 – un nouveau package législatif vient de voir le jour lié aux appareils électroniques en général. Celle-ci impose le chargeur unique de type USB-C à tous les nouveaux appareils électroniques à partir de l’automne 2024.
À cette date, les téléphones portables, les tablettes, les appareils photo numériques, les liseuses électroniques, les casques audio et d’autres électros devront être équipés de ce chargeur unique, quelle que soit la marque.
Les fabricants d’ordinateurs portables auront jusque 2026 pour s’adapter. De plus, les entreprises devront laisser le choix au consommateur pour acheter un appareil avec ou sans chargeur.
Ceci est une bonne nouvelle, mais nous sommes très loin d’une réparabilité complète, surtout au niveau de nos smartphones.
« Aujourd’hui, nous avons très souvent des mises à jour des logiciels dans nos smartphones et ceux-ci sont mis à disposition sur des périodes de plus en plus courtes », nous explique Chloé Mikolajczak. « Si nous ne faisons pas de mise à jour, alors nos téléphones sont de plus en plus lents et on a plus de chance de les remplacer. »
Il y a aussi un souci de « part pairing » : les logiciels qui lient les pièces. Par exemple, un logiciel lie notre batterie à notre téléphone. Si nous allons dans un repair café et que l’on nous propose une nouvelle batterie compatible, le logiciel ne reconnaîtra plus cette nouvelle batterie (car pas d’un centre agréé) et nous devrons changer de téléphone.
« Si cette pratique de part pairing devient mainstream, alors on peut dire adieu à la réparation indépendante d’ici 10 ans », confirme Chloé. « C’est une question très importante et [Right to Repair Europe] lutte pour cela. On attend le texte final des nouvelles législations, mais le lobby des fabricants est très puissant au niveau européen. »
La durée de vie d’un smartphone est de 2-3 ans.
En Europe, 47 % des téléphones portables usagés traînent au fond du tiroir, 25 % sont donnés à des proches, 16 % sont revendus et seulement 3 % sont recyclés en Europe, d’après le journal L’Écho. N’oublions pas que pour fabriquer un smartphone, on a besoin de métaux rares. Mais ce sont ces métaux rares – qui proviennent des pays du Sud et qui existent en quantités limitées – qui sont aussi nécessaires pour la transition écologique dans nos panneaux solaires et dans nos éoliennes.
« Dans la situation écologique actuelle, nous confirme Chloé Mikolajczak, ces métaux devraient être utilisés pour augmenter notre capacité d’énergie renouvelable. Or, aujourd’hui, une grosse partie de ces métaux est utilisée pour des appareils qui vont être jetés dans 2 à 3 ans. Si nous arrivions à étendre la durée de vie de nos appareils électroniques, nous aurions moins besoin de ces métaux rares pour nos petits électros et on pourrait les utiliser là où ils sont vraiment nécessaires, à savoir dans la transition énergétique. »
Pour un smartphone, 80 % de son impact climatique a lieu avant que son propriétaire l’ait dans les mains : via l’extraction des minéraux, la fabrication dans l’usine, le transport…
La réparation est la solution qui a le plus de sens au niveau fabrication, impact environnemental, mais aussi pour le portefeuille des consommateurs.