Rencontre avec Jacques Salomé
J’aurais voulu être professeur de vie
Père de 5 enfants, grand-père de 8 petits-enfants et même arrière-grand-père, Jacques Salomé est psychosociologue de formation, écrivain par passion, et formateur par engagement…
Jacques Salomé, 82 ans, aurait voulu être professeur d’une école qui apprendrait «à accueillir les miracles de la vie quand ils viennent à notre rencontre…» Non loin de cette utopie, il a développé la méthode ESPERE®, visant «des communications plus vivantes et sans violence, fondées sur la responsabilisation, le respect de soi et d’autrui.» Rencontre avec un grand homme, qui a aussi été fait Officier de l’Ordre National du Mérite.
Vous avez vécu plusieurs traumatismes au début de votre vie. Dans quelle mesure ces expériences ont-elles impacté votre destinée?
Le chemin de mon existence a été parsemé d’épreuves, qui m’ont permis de construire des ancrages suffisamment solides pour faire face à l’imprévisible. Dans le silence qui m’habite, j’ai l’impression de cohabiter dans une entente physique et psychique avec mon corps, dans le sens où je suis attentif aux signaux qu’il m’envoie. Je suis dans sa grâce. Je suis dans l’amour.
L’amour est d’ailleurs au centre de vos ouvrages. Quelle est votre vision personnelle de l’amour?
Chacun de nous possède une vision et des expectatives de ce que devrait être l’amour. Et surtout de l’amour à recevoir… Ce qui est le point de départ d’un certain nombre de malentendus et de déceptions. En effet, nous parlons rarement de l’amour à donner, mais plutôt de l’amour que nous attendons. Être en amour, c’est se découvrir des potentialités inexplorées. L’amour détient ce pouvoir inouï de nous porter et de nous transporter vers le meilleur de soi dans la rencontre avec le merveilleux et l’imprévisible de l’autre. Il est cet embrasement de deux différences qui veulent survivre à l’éblouissement de la rencontre, rester vivantes et s’épanouir réciproquement dans le cheminement d’une existence dans la durée.
Les relations aussi vous passionnent. Quelles erreurs commet-on le plus souvent au niveau relationnel?
La communication est la sève de notre existence. Elle est le remède le plus efficace contre la peur, le non-amour de soi, la culpabilité et la violence. Cette mise en commun nous permet d’aller au-delà du silence des mots, pour dépasser la violence des maux… Un combat que je mène maintenant depuis plus de 40 ans pour que l’on enseigne la communication relationnelle à l’école comme une matière à part entière, le seul antidote à la montée accélérée de la violence. Dans une rencontre, nous sommes toujours trois : l’autre, soi et la relation. Je suis responsable seulement de mon bout de la relation. En tout cas, je vous invite à toujours nourrir la relation de messages positifs, valorisants, vivifiants, en évitant trop de messages toxiques qui peuvent empoisonner le quotidien et même blesser le désir de poursuivre ensemble une vie commune.
Quelle est la spécificité de la méthode ESPERE® (Énergie Spécifique pour une Écologie Relationnelle Essentielle) que vous avez conçue?
Elle propose une autre façon de communiquer en se basant sur la règle de trois R : respect de soi, respect pour l’autre, responsabilisation. Son principal outil est la visualisation (je montre par des objets symboliques ce dont je parle). Elle s’appuie également sur le fait qu’il est fondamental dans cette relation d’apprendre à faire des demandes, qu’il est important de ne pas confondre la personne avec sa réponse, qu’il est déconseillé de parler «à propos» de l’autre (tu…), mais de parler «à» l’autre (je…), et qu’il est essentiel de différencier la personne de son comportement. J’estime aussi qu’être capable de se positionner sans se laisser définir par l’autre, s’affirmer dans ses choix et se responsabiliser face aux événements de l’existence, permet de mieux se construire et surtout de devenir «auteur» de sa propre vie.
Vous avez aujourd’hui 82 ans. à ce jour, quelle est votre plus grande leçon de vie?
Il m’a fallu traverser plusieurs vies pour apprendre à aimer ma vie. Je veux dire par là que je n’ai pas été dans les premiers temps de mon existence un bon compagnon pour elle. Dans mes défis, j’ai pris conscience de ce qu’importe sa présence, pour commencer à la respecter. Respecter la vie qui m’habite et celle qui m’entoure. L’accueillir dans ses manifestations les plus subtiles et surtout les plus imprévisibles. Aujourd’hui, quand l’épreuve de la maladie me traverse, feutré dans le silence de mes mots, la vie, par sa ferveur amoureuse, me transporte, me conduit, m’exalte. J’accueille sa présence comme un présent au présent qui s’offre à moi. L’important est de prendre soin de la relation qui s’établit avec soi-même, l’embellir à chaque instant pour pouvoir préserver une certaine vivance en soi. La question que je soulève et sur laquelle j’invite à réfléchir est « comment être ou devenir à la fois un bon (ou un meilleur) compagnon pour soi et pour les autres ? » Accueillir la vie, la valoriser, l’amplifier et la répandre à notre tour, telle peut être notre mission et celle de chaque personne de passage sur la Terre… Pour devenir ainsi un semeur de vie.
Avez-vous l’impression d’avoir été poussé dans votre vocation, d’avoir eu une mission à accomplir?
Je viens d’un milieu pauvre où dans ma jeunesse, on militait beaucoup. Il me semble que j’ai gardé cette sorte de militantisme en écrivant des livres qui permettent à mes lecteurs de changer de regard sur leur propre vie. Mais aussi de s’engager dans une démarche plus relationnelle. à travers l’écriture, j’ai l’impression de parler à ce lecteur inconnu que je privilégie dans mon imaginaire. Je ne donne pas de recettes (comme tant d’ouvrages que j’appelle « à l’américaine »), mais il me semble que je montre plutôt des chemins : apprendre à s’aimer, oser se respecter, prendre le risque de se responsabiliser. Cela en évitant les deux pièges les plus fréquents de la communication : l’accusation de l’autre (« C’est de ta faute, tu n’es jamais là, on ne peut pas discuter avec toi ») et l’auto-accusation (« Moi je n’ai pas fait d’études, mes parents ne m’aimaient pas, ils ont divorcé »). Ni accusation, ni auto-accusation, mais responsabilisation.
Avez-vous peur de la mort ? Quelle est votre positionnement sur le sujet?
Depuis la mort de ma mère, j’ai commencé à être traversé par l’idée que je suis mortel. Sans nier la mort, je pense à la vie, à ma vie, comment je peux l’embellir et surtout la vivifier pour laisser après moi plus de vie que je n’en ai reçue.
Le dernier ouvrage de Jacques Salomé
«Un zeste d’éternité» est paru aux éditions de l’Homme en 2017.