Syntropie : Vers un avenir centré sur la vie
Et si nous faisions fausse route en pensant que la vie doit forcément lutter contre l’entropie, cette tendance naturelle des systèmes à se désorganiser, s’épuiser, se dissoudre ? Et si, au contraire, il existait un principe fondamental à l’œuvre dans l’univers, capable de favoriser l’harmonie, la coopération et la régénération ?
C’est ce que propose la syntropie, un concept aussi ancien qu’oublié, remis en lumière par les sciences du vivant et les pratiques agricoles innovantes.
De l’entropie à la syntropie
L’entropie, bien connue des physiciens, traduit la tendance naturelle des systèmes à se désorganiser avec le temps, et à tendre vers le chaos. Un objet qui se casse ne se répare jamais tout seul. De la même façon, sans entretien régulier, un bureau bien ordonné finit inévitablement par sombrer dans le désordre.
Mais la vie, elle, fait exception à ce principe.
Elle organise, structure, complexifie. Une graine devient une forêt, un embryon devient un être humain, une cellule coopère avec des milliards d’autres pour former un organisme vivant. Ce mouvement inverse, orienté vers plus de cohérence et de diversité, c’est la syntropie.
L’intérêt pour ce concept ne date pas d’hier : dès les années 1940, le mathématicien Luigi Fantappiè suggérait que l’univers est régi par deux forces complémentaires : l’une, entropique, progresse du passé vers le futur en dégradant la matière, tandis que l’autre, syntropique, se dirige du futur vers le présent, attirant les systèmes vers des états d’organisation plus complexes. Cette idée est profondément novatrice, modifiant notre conception de la vie, de la croissance et du progrès.
L’agriculture syntropique : une nature qui se régénère
« Comprendre que nous ne sommes pas les intelligents mais que nous faisons partie d’un système intelligent ». C’est par cette phrase qu’Ernst Götsch illustre la philosophie de l’agroforesterie syntropique qu’il met en pratique depuis plus de 40 ans au Brésil. Constatant l’épuisement des sols, la désertification et la perte de biodiversité provoquée par l’agriculture industrielle, il décide de faire l’inverse de ce qu’on lui a enseigné : collaborer avec la nature au lieu d’essayer de la contrôler.
Il plante de manière très dense et en couches superposées, recréant la richesse végétale des forêts. Il associe les espèces et imite les cycles naturels. Chaque plante joue un rôle particulier dans l’écosystème : pionnière, fixatrice d’azote, couvre-sol, support, nourricière… Les arbres grandissent, les lianes grimpent, les herbes couvrent, les feuilles tombent et nourrissent le sol.
Avec ses nouvelles pratiques, il obtient des résultats incroyables, transformant des terres mortes en forêts nourricières luxuriantes, et ce sans engrais, ni pesticides, ni irrigation.
Bien qu’elle partage de nombreux principes avec la permaculture, cette approche va plus loin, en mettant l’accent sur la régénération active des sols et la dynamique évolutive du vivant.
Un modèle pour nos sociétés ?
La syntropie dépasse le cadre de l’agriculture. Elle propose un véritable changement de paradigme : passer d’un modèle extractif à un modèle régénératif, de l’économie linéaire à l’économie circulaire, de la compétition à la coopération, de la peur du manque à la confiance dans l’abondance ordonnée.
Appliquée à l’éducation, la syntropie encourage à cultiver les talents individuels plutôt qu’à uniformiser les élèves.
En entreprise, elle privilégie la complémentarité des individus au lieu de les opposer. En écologie, elle nous incite à restaurer les cycles naturels plutôt qu’à tenter de les maîtriser.
Une philosophie du vivant
La syntropie est d’abord un état d’esprit. Elle invite à s’aligner sur les dynamiques du vivant : créer du lien, favoriser l’émergence, avoir une vision à long terme. Elle valorise ce qui fait sens, ce qui unit, ce qui élève. Elle réconcilie les sciences et la sagesse, l’action et la contemplation.
Ce n’est pas une utopie, mais une véritable prise de conscience : la nature sait faire ce que nous n’avons pas encore appris à faire, et elle le fait mieux que nous. Peut-être est-ce là la plus grande leçon de la syntropie : retrouver l’humilité d’apprendre de la vie elle-même.
La syntropie n’est pas une solution clé en main, mais une boussole qui nous oriente vers la vie, l’équilibre et la régénération. Il ne s’agit pas de tout transformer du jour au lendemain, mais de reconnaître que chaque jardin converti, chaque sol restauré, chaque choix en faveur du vivant compte.
La syntropie est une invitation à participer à un mouvement plus grand que nous.
Référence:
Anaëlle Théry
Bienvenue en syntropie
Un jardin d’abondance, des principes au terrain.
23 € – 160p
www.terrevivante.org

La syntropie a donné des résultats remarquables au Brésil où, en 40 ans d’expérience, son fondateur Ernst Götsch est parvenu à restaurer une forêt primaire sur des terres dégradées et arides. Anaëlle Théry a adapté ces principes à notre climat tempéré.
Dans sa pépinière en Dordogne, elle multiplie les essais, créant pas moins de 24 espaces afin de tester des combinaisons végétales très productives, tout en répondant aux contraintes du lieu : limiter l’arrosage et s’adapter aux fortes chaleurs.
Elle transmet son savoir et ses résultats à travers des formations. Le livre Bienvenue en syntropie !, initialement écrit comme un cours à destination des publics ayant suivi son enseignement au fil des années, est un condensé de ses expériences. Il est le premier et unique ouvrage sur l’agroforesterie syntropique en climat tempéré.